Conditions du don et de l'accueil - Homélie de la Fête-Dieu

Publié le par Gens d'Outremeuse


Dt 8, 2-3.14b-16a   ~   Psaume 147    ~   1 Co 10, 16-17    ~    Jn 6, 51-58



Frères et soeurs,

Tout à l'heure, avant de recevoir le Corps du Christ, nous allons dire tous ensemble : "Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri". Vous savez que cette phrase vient d'un païen, d'un centurion romain qui a demandé à Jésus de venir guérir son serviteur. La première réaction de Jésus lorsque le centurion romain l'aborde dans la rue est de dire : "je vais moi-même venir le guérir"... ce qui est tout à fait exceptionnel et exceptionnellement dangereux pour Jésus puisqu'un juif bien pieux comme il l'était ne pouvait pas entrer chez un païen et encore moins manger avec lui, sous peine de devenir impur, d'être souillé par simple contact.

Finalement, comme vous le savez, Jésus n'y va pas, grâce à la foi extraordinaire de ce centurion qui lui dit : "tu sais, moi qui ne suis qu'un modeste soldat, quand je donne mes commandements, on m'obéit. Si je dis à un homme va, il va. Si je dis à un homme fais ceci, il le fait. Alors toi qui as beaucoup plus de pouvoir que moi, tu peux faire un miracle à distance". Jésus va d'ailleurs s'émerveiller de la foi de ce centurion en disant qu'il n'a jamais rencontré pareille foi en Israël.

Mais je reviens à la phrase de Jésus : "Je vais le guérir moi-même". Je crois que cette phrase de Jésus, nous pouvons la transposer à un niveau d'une plus grande ampleur. En fait, cette phrase résume magnifiquement toute l'incarnation, toute la venue de Dieu sur terre. Qu'est-ce que Noël sinon Dieu qui dit : "J'ai envoyé des prophètes, j'ai choisi des envoyés dans mon peuple. Maintenant, je vais venir moi-même. Je vais montrer moi-même à mon peuple ce qu'est un véritable amour. Je vais me mélanger à lui, me souiller par amour pour eux : moi qui suis l'amour, je vais me mélanger à tous les pécheurs que sont les êtres humains."

Ce mouvement, comme vous le savez, d'aller vers les hommes, de vivre parmi eux ne s'est pas arrêté à la Noël ou à la mort de Jésus: Jésus, après sa Résurrection, a voulu se rendre présent et continue à se rendre présent à son peuple. Il a choisi cette forme que vous allez consommer tout à l'heure dans tous les sens du terme, cette forme du pain et du vin pour que nous puissions continuer à vivre, comme les apôtres, la même rencontre... Parce que c'est cela finalement la messe : c'est une rencontre avec le Seigneur.

Frères et soeurs, nous sommes invités à réfléchir ensemble sur les conditions d'une vraie rencontre : qu'est-ce que rencontrer vraiment quelqu'un ? Je vous invite à réfléchir maintenant à tous les amis et les connaissances que nous avons : est-ce qu'avec eux, nous vivons une véritable rencontre ? Je veux dire par là : est-ce que l'autre, quel qu'il soit, vous l'aimez vraiment pour lui-même ou elle-même, ou bien est-ce que vous l'aimez parce que c'est un type intéressant qui me rend des services ou pourrait un jour me rendre des services. C'est bien que je sois son ami ou au moins une de ses connaissances. Vous serez d'accord avec moi, si nous regardons nos amis et amies de cette manière, ce n'est pas une véritable rencontre que nous vivons avec eux, ce n'est pas un véritable don de nous-mêmes et un véritable accueil de l'autre.

Figurez-vous que dans l'Eucharistie, le même problème se pose. Il ne faudrait pas croire qu'il y a un niveau humain d'un côté et un niveau divin de l'autre. Les mêmes règles valent que ce soit pour rencontrer Dieu ou pour rencontrer quelqu'un. Je vous donne un exemple historique puis un exemple d'aujourd'hui.

Vous savez que Julienne de Cornillon qui a habité pas loin d'ici est à la base de la fête d'aujourd'hui : la fête-Dieu, la fête du Corps et du Sang du Christ. Pourquoi a-t-elle insisté sur la création de cette nouvelle fête ? Elle se rendait compte qu'à son époque, on prenait le Corps du Christ comme un objet magique. On allait à la messe. On mettait le Corps du Christ dans sa poche. On ne le mangeait pas, surtout si on avait une traversée dangereuse à faire pour aller faire des affaires, une traversée où l'on risquait d'être attaqué par des brigands. On prenait cela comme un objet magique susceptible de nous protéger. Julienne qui était très attristée de cela s'est dite qu'il fallait que les gens se rendent compte que quand ils mangent le Corps du Christ, c'est vraiment une rencontre au fond de leur être avec le Seigneur. Ce n'est pas une espèce de talisman pour se protéger de tous les dangers.

L'exemple d'aujourd'hui : je le vis personnellement dans les paroisses qui me sont confiées, surtout avec les personnes plus âgées qui ont toujours été habituées à avoir un prêtre, une messe et la communion à chaque messe. Comme c'est déjà arrivé, le prêtre ne peut pas être là pour une raison ou une autre, la tentation est très forte évidemment d'aller se servir dans le tabernacle et de prendre le Corps du Christ. On pourrait même dire, en utilisant les réflexes de notre société d'aujourd'hui, que comme chrétien, comme baptisé, n'y ai-je pas droit ? Mais il faut réfléchir, parce qu'il y a des enjeux là derrière : si je viens à la messe lorsque le prêtre n'est pas là, je peux évidemment prier avec les autres chrétiens, je peux partager, lire et écouter la Parole de Dieu. Mais si moi-même, je vais me servir dans le tabernacle comme je vais me servir dans le frigo quand j'ai faim, je n'utilise plus les deux verbes de l'amour que sont donner et accueillir. Je vais prendre, je vais mettre la main sur le Corps du Christ.

Alors quand les conditions du don et de l'accueil ne sont pas rassemblées, il ne faut surtout pas faire comme si... Quand on fait "comme si", c'est toujours mauvais, ça ne donne jamais de bons résultats. Je vous donne un exemple. Je vais retourner le mois prochain en Afrique. Vous allez voir que vous n'avez aucune raison de vous plaindre au niveau des messes, surtout dans notre Unité pastorale où nous avons encore 8 messes tous les dimanches avec chaque fois un prêtre, sauf exception. En Afrique, j'ai découvert des villages où il n'y a une messe qu'une fois par an. Que font les villageois ? Le curé du coin ne leur a pas mis une montagne astronomique d'hosties pour tenir le coup toute l'année, une montagne d'hosties dans laquelle ils pourraient aller se servir. Quand il n'y a pas de messe chez eux, ils ne le font pas toujours mais lorsqu'il y a un homme plus valide qui peut y aller et qui sait qu'un prêtre qui dit la messe à 20 km du village, il va faire 40 km et participer à la messe. Ayant reçu le Corps du Christ des mains du prêtres, il va alors le porter aux gens de son village. Ca, frères et soeurs, c'est vraiment bien respecter la rencontre avec le Christ.

Dans nos relations humaines, nous ne devons jamais mettre la main sur l'autre, comme en disant : "cette personne-là, je l'aime bien car elle rend des services. Mais si elle ne me rend plus ces services, je vais la jeter comme une vieille loque." Ca, c'est prendre quelqu'un en ôtage. Et bien on risque de faire la même chose avec le Corps et le Sang du Christ. Alors veillons à respecter cette rencontre profonde vécue dans le don et l'accueil. Ca va dans les deux sens. Vous, vous ne pouvez rien faire sans le prêtre. A l'inverse aussi, je ne peux pas célébrer la messe tout seul : je ne peux pas faire comme si vous étiez là. Je vais donner les réponses : je vais dire "le Seigneur est avec vous" et répondre "et avec votre esprit". 

Je vous l'ai déjà dit, frères et soeurs, mais jouer le jeu de l'amour quand on est tout seul, ça s'appelle de la masturbation. De grâce, ne faisons pas de la masturbation sacramentelle. Quand les conditions du don et de l'accueil ne peuvent pas être vécues, je crois qu'on peut rencontrer le Seigneur autrement: par la prière, par la lecture de la Parole de Dieu, par un partage, etc. Il se passe à la messe ce qui se passe aussi chez nous, au niveau de notre estomac : un repas n'a jamais eu aussi bon goût que quand on a très faim.

En Israël, il y a des prêtres de rite oriental qui m'ont dit : "on célèbre la messe quand il y a des gens". Alors tous les dimanches. En semaine, c'est très rare... sauf s'il y a des gens, sauf si on peut vivre ce don et cet accueil. Je crois qu'on doit vraiment vivre cela, frères et soeurs, et être très attentifs à cet aspect des choses. Certains me trouvent dur, mais je vais vous le dire comme vos parents vous l'ont dit quand vous étiez petits : "C'èst po vos bin".



Jean Pierre Pire
Église Saint-Nicolas
Messe qui prend son temps
26 juin, 18h30


Retranscription : Elisa

                

 

 

Publié dans Homélies

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